L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Opinion — Fonction publique, profits privés : la dépendance du Canada à l’égard des sociétés de conseils américaines

Cet article d'opinion signé par le président de l'IPFPC a originellement paru dans le National Newswatch (en anglais seulement) le mois dernier.

 

Alors que le Canada est confronté à un délai de 30 jours dans le cadre d’une guerre commerciale potentielle avec des mesures de rétorsion tarifaire, nous faisons face à une contradiction stupéfiante. Après avoir menacé d’imposer des mesures tarifaires sur 155 milliards de dollars de produits américains, nous continuons d’envoyer au sud des milliards de dollars des contribuables canadiens, par le biais de contrats fédéraux de sous-traitance, à la nation même qui remet en cause notre souveraineté économique.

L’ampleur de cette contradiction est ahurissante. Tandis que nous élaborons des programmes de soutien d’urgence pour les industries canadiennes frappées par ces mesures tarifaires, nous payons en même temps des tarifs majorés à des géants américains du conseil pour qu’ils effectuent un travail qui pourrait être effectué par des fonctionnaires canadiens. Les grandes entreprises américaines comme IBM se classent régulièrement parmi les cinq premières bénéficiaires des contrats informatiques du gouvernement. Parallèlement, McKinsey & Company s’est vu attribuer des centaines de millions de contrats au cours des deux dernières décennies, dont 70 % n’ont jamais fait l’objet d’un appel d’offres. Les données du directeur parlementaire du budget montrent que ces contrats de sous-traitance coûtent généralement 25 % de plus aux contribuables canadiens que si le même travail était effectué par des professionnel·les de la fonction publique, une prime qui devient encore plus discutable alors que nous nous préparons à des turbulences économiques.

Le moment de ce différend commercial met en lumière le rôle essentiel de l’expertise de la fonction publique. Comme le ministère des Finances ouvre son processus de remises aux entreprises touchées par la guerre commerciale, ce sont les fonctionnaires qui concevront et mettront en œuvre ces programmes de soutien essentiels.

Pourtant, paradoxalement, nous continuons d’affaiblir notre capacité interne en sous-traitant des fonctions gouvernementales fondamentales à des entreprises étrangères.

La réponse à la pandémie a démontré la valeur irremplaçable de notre fonction publique. En temps de crise, ce sont les professionnel·les de la fonction publique qui ont mis au point des protocoles d’analyse, géré l’achat de vaccins et créé et mis en œuvre le programme de la PCU qui a aidé des millions de Canadiens et de Canadiennes. Aujourd’hui, alors que nous faisons face à des perturbations économiques potentielles dues à des mesures tarifaires qui pourraient réduire le PIB de 5,6 % et augmenter le chômage de 3 %, nous avons besoin de ces mêmes professionnel·les pour analyser les impacts, concevoir des stratégies d’atténuation et protéger les intérêts canadiens.

Voyons la situation actuelle : tandis que les gouvernements provinciaux ont pris des mesures pour retirer les produits américains des magasins d’alcool et modifier leurs pratiques d’approvisionnement auprès des entreprises américaines, l’approvisionnement fédéral continue de favoriser les géants américains du conseil. Cela crée une dépendance dangereuse au moment même où nous devons maximiser notre souveraineté économique et notre capacité de réaction.

Le plus inquiétant, c’est la manière dont cette sous-traitance draine régulièrement les connaissances et l’expertise canadiennes vers le sud, au profit d’entreprises américaines. Lorsque nous sous-traitons des fonctions gouvernementales, nous ne perdons pas seulement de l’argent, mais aussi une expertise et une mémoire institutionnelle vitales. Des informations cruciales sur les activités du gouvernement, les protocoles de sécurité et la planification stratégique circulent vers le sud avec l’argent des contribuables canadiens. Cette situation crée des vulnérabilités qui vont bien au-delà des coûts financiers immédiats et qui risquent d’entraver notre capacité à réagir de manière indépendante aux crises futures.

L’Énoncé économique de l’automne a annoncé 1,3 milliard de dollars pour accroître la sécurité aux frontières, reconnaissant la nécessité de renforcer les capacités du Canada. Cette enveloppe frontalière a été bonifiée ce mois-ci pour répondre aux dernières exigences de Trump liées au report des mesures tarifaires. Pourtant, nous continuons à saper ces investissements en confiant des fonctions informatiques et opérationnelles cruciales à des entreprises étrangères. Il ne s’agit pas seulement de développer des logiciels ou d’assurer la maintenance des systèmes, mais aussi de garder le contrôle de l’infrastructure numérique qui permet à notre gouvernement de réagir aux crises.

Le Canada a besoin de changer radicalement sa façon d’aborder les marchés publics et le renforcement des capacités. Nous devons rapatrier les fonctions gouvernementales essentielles dans notre fonction publique, en particulier dans les domaines qui sont critiques pour la sécurité nationale et la souveraineté économique. Il ne s’agit pas de protectionnisme, mais de paix, d’ordre et de bonne gouvernance. Une fonction publique forte et professionnelle n’est pas seulement une nécessité administrative; c’est un atout stratégique pour maintenir l’indépendance et la résilience du Canada.

Les frictions commerciales actuelles nous donnent l’occasion de réévaluer nos stratégies d’approvisionnement et nos investissements dans les capacités de la fonction publique. Tandis que nous nous préparons à affronter des turbulences économiques, nous ne devons pas nous affaiblir de l’intérieur. C’est le moment d’investir dans notre fonction publique, de renforcer les capacités canadiennes et de veiller à ce que les fondations de notre pays restent solides, quelles que soient les tempêtes économiques à venir.

Il est illogique de mener une guerre commerciale d’une main tout en signant des chèques à des sociétés de conseils américaines de l’autre. Le Canada a besoin d’une fonction publique qui sert la population canadienne, pas les actionnaires américains. En cette période d’incertitude économique, cette solution n’est pas seulement préférable, mais essentielle à notre résilience nationale.

Sean O'Reilly

Président

Insitut professionnel de la fonction publique du Canada