L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Quelle devrait être notre réaction face à un déficit de 185 milliards de dollars?

Les pandémies sont réelles. Les gens, les emplois sont réels. Les déficits fédéraux, eux, ne sont qu’un concept. Nous l’oublions parfois. Espérons que cette fois, nous nous en souviendrons.

Nous traversons une crise terrifiante d’une ampleur historique. En ces temps difficiles, les Canadiens ont clairement exprimé le souhait que le gouvernement utilise toutes les ressources à sa disposition pour les protéger et réduire la souffrance humaine. Que les coûts dépassent ou non les plans budgétaires n’a aucune importance.

La priorité est de contenir la COVID-19 et de protéger les travailleurs de première ligne. Même si cela implique de fermer des secteurs industriels en entier. À la suite de ces mesures, quatre millions de personnes ont présenté une demande d’assurance-emploi en quelques semaines. Ces personnes doivent être protégées. À court terme, elles ont besoin d’un soutien du revenu pour rester à la maison, s’isoler et freiner la propagation du virus. Plus tard, lorsque la courbe s’aplatira, il faudra stimuler la relance économique pendant plusieurs années.

La réaction immédiate des décideurs a été importante, audacieuse et rapide. Le Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19 énonce des mesures pour soutenir tout un chacun, des particuliers aux grandes entreprises. Il n’est pas sans faille, bien entendu, mais il dénote aussi un engagement continu à aller plus loin et à empêcher les gens de passer entre les mailles du filet. Au diable les coûts élevés!

L’élaboration de ces grandes politiques s’est accompagnée d’un changement du discours public sur la dette et les déficits. Les questions sur l’abordabilité sont rares et sont perçues comme provenant d’une autre planète. La menace pour l’économie ne réside pas dans les dépenses, mais dans les dépenses insuffisantes. Le coût humain réel de l’inaction l’emporte facilement sur le coût d’une dette fédérale accrue. D’ailleurs, les premières phases de l’intervention ont été adoptées à l’unanimité par le parlement.

Dans l’univers parallèle dans lequel nous vivions il y a quelques semaines, il aurait été approprié de poser certaines questions primordiales. Si le ministre des Finances avait déposé un budget avec un déficit de 185 milliards de dollars (8,5 % du PIB), il aurait provoqué une levée de boucliers chez l’opposition. En 2015, l’enjeu des élections fédérales était l’équilibre budgétaire et le maintien d’un déficit de l’ordre de 0,9 % du PIB. Mais c’était une autre époque, n’est-ce pas?

Eh bien, non. Nous vivons dans un seul univers et, au cours des dernières semaines, les décideurs l’ont clairement dépeint. C’est un monde où la politique responsable consiste à dépenser autant que nécessaire. La « sagesse populaire » au sujet de la dette et des déficits est déconnectée de la réalité et semble mesquine en rétrospective. S’il est tentant de diviser les débats en deux catégories, l’avant et l’après COVID-19, ce serait malvenu.

Il est essentiel de ne pas revenir à l’ancienne politique déficitaire une fois la crise maîtrisée. Des mesures de stimulation accrues seront nécessaires pendant des années pour que les gens puissent reprendre le travail.

Lors de la crise financière de 2008, le parlement minoritaire a convenu d’un plan de relance budgétaire substantiel. Toutefois, peu de temps après, le gouvernement conservateur a entrepris de le démanteler. Il s’est attaqué au déficit vigoureusement, limitant la croissance à un moment où l’économie avait besoin d’investissements. Selon les estimations, les mesures d’austérité prises en 2014-2015 ont freiné la croissance du PIB de 0,84 % et ont entraîné la perte de 90 000 emplois dans les secteurs public et privé. Tout cela dans le but politique d’équilibrer le budget avant les élections de 2015.

Rappelons que, à la suite de la récession du début des années 1980, les déficits fédéraux ont atteint le même sommet au milieu de cette décennie (8,1 % du PIB). La mobilisation pendant la Seconde Guerre mondiale a nécessité des déficits presque trois fois plus importants (22,5 % du PIB). L’économie canadienne a tenu bon.

Une fois la COVID-19 contenue, il y aura des répercussions économiques. En réponse, nous devons protéger les personnes qui ont perdu leur emploi afin de limiter la propagation du virus. Si nous ne pouvons tolérer des déficits plus élevés, ces personnes composeront avec des difficultés bien réelles. Nous devons accorder la priorité aux effets réels d’une hausse du chômage et de la pauvreté plutôt qu’aux coûts intangibles d’une dette accrue.

Dans les moments névralgiques de l’histoire, l’ensemble du pays semble capable de saisir le manque de pertinence de la politique déficitaire. Puis nous oublions. Le gouvernement fédéral doit faire tout en son pouvoir pour atténuer les effets délétères du ralentissement imminent. Le gouvernement a la capacité fiscale de dépenser autant que nécessaire, c’est-à-dire de fournir un soutien rapide, étendu et inédit dès maintenant et d’engager des dépenses de stimulation prolongées au cours des prochaines années.

Traduction d'un article paru dans le National Newswatch (anglais seulement) le 10 avril 2020.