Le texte d’opinion suivant du président de l’Institut, Sean O’Reilly, a été publié le 18 décembre dans le Ottawa Citizen.
Six semaines après le dépôt du budget 2025, ses implications deviennent plus claires et plus inquiétantes.
À l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, nous avons entendu nos membres réaffirmer que la lutte contre la sous-traitance demeure pour eux une priorité absolue.
Lors des élections du printemps dernier, les Libéraux avaient promis de réduire la dépendance du gouvernement envers les consultant·es du secteur privé, mais il est évident que le budget de novembre engage le Canada dans la direction inverse. Ce qui était présenté comme un plan de discipline, de modernisation et d’efficacité est dans la réalité une accélération de la tendance amorcée il y a dix ans, qui privilégie le recours aux consultant·es externes au détriment de l’expertise interne.
Plutôt que de renforcer la fonction publique, le gouvernement fédéral a choisi une fois de plus de recourir à la sous-traitance, c’est-à-dire d’engager des consultant·es privés pour faire le travail que la fonction publique peut et doit faire. Il s’agit d’une mauvaise habitude qui draine discrètement des milliards de dollars des coffres fédéraux depuis des années, tout en affaiblissant les systèmes mêmes dont dépendent les Canadiennes et les Canadiens.
Le budget 2025 affirme même qu’il « réduira » le recours aux consultant·es privés, mais les chiffres avancés par le gouvernement lui-même montrent une réalité différente. La sous-traitance a doublé par rapport aux niveaux d’avant la pandémie, alors que les dépenses en services de consultants devraient atteindre 26,1 milliards de dollars cette année, soit une augmentation de 37 % par rapport à l’année dernière et un niveau record.
Même si le gouvernement parvient à réduire la sous-traitance de 20 % comme il l’a promis, le niveau de sous-traitance serait encore environ le double de ce qu’il était il y a dix ans. Les consultant·es privés coûtent aux contribuables jusqu’à 26 % de plus que les fonctionnaires.
On est loin du compte. Au mieux, cela représente un coût élevé pour le double emploi, le retard et la dépendance. Au pire, cela affaiblit les systèmes sur lesquels la population canadienne compte tels que la salubrité des aliments, les interventions d’urgence, la sécurité numérique et la protection de l’environnement.
Le budget aggrave la situation en supprimant 30 000 emplois dans la fonction publique; en plus des quelques 10 000 postes amputés l’an dernier. Remplacer du personnel permanent qualifié par des sous-traitant·es n’est pas synonyme d’efficacité, mais plutôt d’érosion. La réduction du nombre de fonctionnaires et l’augmentation de la sous-traitance affaibliront les ministères, qui deviendront moins résilients et qui dépendront de plus en plus du secteur privé pour exercer les fonctions cruciales propres au gouvernement.
Nous avons déjà vu cela se produire auparavant. Vendu comme une réforme visant à réduire les coûts, le système de paye Phénix est devenu l’un des plus grands échecs administratifs de l’histoire fédérale, avec des milliards gaspillés. ArriveCAN a commencé comme un modeste contrat numérique et s’est transformé en un fiasco de 60 millions de dollars. Les deux systèmes ont été développés par des entreprises privées externes. Et les deux systèmes continuent de coûter cher aux Canadien·nes.
À titre de comparaison, lors de la pandémie de la COVID-19, ce sont des fonctionnaires, et non des consultant·es, qui ont conçu et mis en place le système de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) en six semaines seulement. Pas de contrats de millions de dollars, pas d’image de marque scintillante, pas de chaos. Voilà à quoi ressemble la véritable efficacité.
Si le gouvernement veut équilibrer ses comptes, il devrait réduire le gaspillage en sous-traitance avant de supprimer des postes de scientifiques, d’analystes et d’inspecteur·rices. Il faut renforcer les capacités avant d’acheter une autre solution miracle. Les Canadien·nes veulent un gouvernement qui travaille pour eux/elles, et non un gouvernement qui semble « efficace » sur le papier, mais qui, dans la réalité, coûte plus cher pour offrir moins.
Si nous voulons obtenir de vrais résultats, nous devons examiner qui fait réellement le travail. Ce ne sont pas les consultant·es dans les salles de réunions des entreprises, mais les fonctionnaires dans les laboratoires, les bureaux et les salles de contrôle qui font fonctionner le pays.
Le budget 2025 était l’occasion de reconstruire la capacité publique et de tracer une voie plus intelligente et autonome. Au lieu de cela, il répète les erreurs des gouvernements précédents. La sous-traitance ne rend pas le gouvernement plus efficace, elle l’affaiblit. On ne peut pas atteindre la compétence par des réductions budgétaires ni sous-traiter l’efficacité.

