Moins de trois mois après le début de la seconde présidence de Donald Trump, la fonction publique fédérale américaine est en plein chaos. Des ordres exécutifs radicaux, des licenciements massifs et des changements de politique agressifs ont provoqué une onde de choc dans les organismes gouvernementaux. Bien que M. Trump n’ait pas explicitement fait campagne sur la réduction de la fonction publique, son administration a adopté Project 2025, un plan de démantèlement de la bureaucratie gouvernementale orchestré par la fondation conservatrice Heritage Foundation. Le résultat? Une attaque sans précédent contre la main-d’œuvre qui fait fonctionner le pays.
L’arme de la réduction des services publics
Russell Vought, qui vient d’être confirmé à la tête de l’Office of Management and Budget (OMB), est au cœur de cette stratégie. En tant qu’architecte de Project 2025, Vought a une vision claire — et inquiétante — de la main-d’œuvre fédérale. S’exprimant lors d’un événement conservateur, il a déclaré ce qui suit :
« Nous voulons que les bureaucrates soient traumatisés. Lorsqu’ils se réveillent le matin, nous voulons qu’ils n’aient pas envie d’aller travailler parce qu’ils sont de plus en plus considérés comme les méchants. Nous voulons que leur financement soit interrompu afin que l’EPA ne puisse pas appliquer toutes les règles ciblant notre industrie de l’énergie parce qu’elle n’a pas les moyens financiers de le faire. Nous voulons les placer en situation de traumatisme. »
Il ne s’agit pas seulement de réduire les « dépenses inutiles » ou de « trouver des inefficacités ». Il s’agit d’une purge idéologique destinée à affaiblir, à démoraliser et, en fin de compte, à réduire le rôle du gouvernement dans la vie américaine.
Réduction des services et des financements publics
Quelques jours après son investiture, M. Trump a signé un décret créant le Department of Government Efficiency (DOGE). Sa mission? Optimiser l’efficacité — un euphémisme pour les coupes profondes et la privatisation.
Les conséquences ont été rapides et brutales — et ce n’est qu’un aperçu :
- Gel de l’aide financière : Le 27 janvier, M. Trump a suspendu toutes les subventions et tous les prêts fédéraux, frappant des secteurs allant des soins de santé à l’éducation.
- Démantèlement de la science et la recherche : Des milliards en gel de financement, des coupes profondes et des licenciements dans des institutions essentielles, notamment le National Institute of Health, le Centre for Disease Control, l’Environmental Protection Agency et les National Archives. De lourdes restrictions ont été imposées à la recherche, y compris l’interdiction d’études mentionnant des termes particuliers relatifs au sexe et au genre, à la race, au handicap et à d’autres caractéristiques protégées.
- Réduction de l’aide étrangère : 90 % des contrats d’aide étrangère ont été supprimés du jour au lendemain, réduisant à néant les efforts humanitaires et les initiatives diplomatiques.
- Ciblage des soins de santé : L’Energy and Commerce Committee doit réduire les dépenses de 880 millions de dollars, ce qui signifie presque certainement une réduction de Medicaid, qui fournit des soins à 72 millions d’Américains à faibles revenus.
- Démantèlement de l’enseignement public : Le ministère de l’Éducation a supprimé 600 millions de dollars de subventions pour la formation des enseignants liées à la diversité, à l’équité et à l’inclusion (DEI).
- Affaiblissement de la climatologie : La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a subi une réduction de 20 % de ses effectifs, ce qui a perturbé les services météorologiques essentiels. Certains licenciements ont été annulés à la hâte lorsque les fonctionnaires ont réalisé que le National Weather Service avait été paralysé. Les décrets de Trump ont supprimé 100 protections environnementales dans ce qui est appelé la « plus grande mesure de déréglementation de l’histoire des États-Unis ».
Bien que certains de ces gels aient été temporairement bloqués par des juges fédéraux, les dommages à long terme se font déjà sentir.
Conditions de travail hostiles et licenciements
L’administration Trump ne se contente pas de supprimer des emplois — elle rend la vie misérable à ceux qui restent.
- Incitations aux démissions massives : Les employé·es fédéraux se sont vus offrir un salaire et des avantages complets jusqu’en septembre s’ils démissionnaient, mais des informations annoncées par la suite rendent les choses imprécises. L’Office of Personnel Management (OPM) a encouragé le personnel à passer au secteur privé.
- Obligation de retourner au bureau : M. Trump a interdit le travail à distance, exigeant que tous les employés reviennent travailler au bureau au plus tard le 6 février ou être congédié.e, indépendamment de la capacité ou de l’état de préparation des bureaux.
- Surveillance de la productivité : Les employés ont reçu l’ordre de soumettre des rapports hebdomadaires de cinq points sur leur travail, le non-respect de cette obligation étant considéré comme une démission. Le DOGE prévoit de faire analyser ces rapports pas l’IA afin de déterminer la pertinence de l’emploi. Les fonctionnaires fédéraux ont déjà intenté des actions en justice, arguant que cette mesure était contraire au droit du travail.
- Licenciements massifs et plans de délocalisation : Le 26 février, l’administration a demandé aux organismes fédéraux de préparer des plans de licenciements massifs avant le 13 mars et des plans de relocalisation du personnel dans des villes moins chères avant le 14 avril. Des recours juridiques sont déjà en cours.
Écrasement des syndicats fédéraux
La guerre de Trump contre la main-d’œuvre fédérale s’étend également aux protections syndicales. En mars, il a pris un décret supprimant les droits de négociation collective de près d’un million de fonctionnaires fédéraux.
En exploitant l’exemption relative à la sécurité nationale, l’administration soutient que toute personne dont le travail touche à la sécurité des frontières, à la défense, aux relations étrangères ou à l’économie ne devrait pas bénéficier de protections syndicales. Cette mesure sans précédent pourrait priver des pans entiers de la main-d’œuvre de la possibilité de s’exprimer sur leurs propres conditions de travail.
Destruction des efforts en matière de diversité et d’inclusion
L’attaque contre les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) a été rapide et impitoyable.
- 20 janvier : Les décrets ont licencié tous les employés liés à la DEI, ont imposé la reconnaissance du genre binaire et ont réduit le financement des soins visant à l’affirmation du genre.
- 21 janvier : Les ministères fédéraux se sont vu interdire de passer des contrats avec des entreprises qui appliquent les normes de DEI.
- 22 janvier : M. Trump a révoqué des parties essentielles du décret sur l’égalité des chances en matière d’emploi (1965), revenant ainsi sur des décennies de protections contre la discrimination.
En démantelant ces mesures de protection, l’administration a encouragé la discrimination dans la culture de l’embauche, des promotions et du travail, créant ainsi un environnement hostile pour les femmes, les personnes racialisées et les employés LGBTQ+.
La situation globale : un chaos bien intentionnel
Les actions de Trump ont créé une main-d’œuvre fédérale en proie à l’incertitude, au dysfonctionnement et à la peur. Il ne s’agit pas seulement de réduire les coûts, mais de rendre le gouvernement si inefficace que la privatisation semble être la seule solution.
Mais les dommages ne toucheront pas seulement les fonctionnaires fédéraux. Tous les Américains qui dépendent des services publics — soins de santé, secours en cas de catastrophe, éducation et protection de l’environnement — en subiront les conséquences.
Bien que les tribunaux puissent bloquer certains de ces changements, l’incertitude oblige les fonctionnaires à prendre des décisions avant que les batailles juridiques ne soient résolues, ce qui affaiblit la fonction publique par l’attrition. L’administration Trump fait le pari que si les dégâts sont suffisamment importants, ils ne seront pas réversibles.
Un avertissement pour le Canada : la menace qui pèse sur notre fonction publique
Le démantèlement de la main-d’œuvre fédérale américaine sous Trump n’est pas seulement une crise qui concerne les États-Unis — c’est une mise en garde pour le Canada. La rhétorique de « l’inefficacité gouvernementale » gagne du terrain ici aussi, servant d’excuse commode à d’éventuelles réductions, à des licenciements massifs et à l’érosion de services publics essentiels.
Nous voyons déjà des avis de réaménagement des effectifs et des réductions de services sous le prétexte de la « maîtrise des coûts ». Mais qu’entend-on par « inefficacité »? Il s’agit d’un outil politique et non d’une mesure objective. Pour certains, il s’agit d’un appel à l’amélioration des services publics afin de promouvoir le bien public; pour d’autres, il s’agit d’une justification pour les supprimer.
Pierre Poilièvre, candidat au poste de premier ministre, a passé deux décennies à attaquer les syndicats et les droits à la négociation collective, à saper les services publics et à prôner un gouvernement plus petit — non par nécessité, mais par idéologie politique.
La vision des conservateurs en matière d’« efficacité » ne consiste pas à améliorer les services, mais à les éliminer. S’il est élu, ce gouvernement ne se contentera pas de réduire les budgets, de rendre chaque division un peu plus efficace ou de procéder à des « licenciements fondés sur les performances »; il procédera à des compressions importantes.
- Le financement de la recherche? Réduit considérablement.
- Les programmes publics vitaux? Éliminés.
- Les services dont les Canadien·nes dépendent? Éviscérés.
Cette vision inclut le démantèlement de votre régime de retraite du secteur public. Le parti conservateur s’est engagé à faire évoluer les pensions vers un modèle à cotisations déterminées, en alignant les cotisations des employeurs sur celles du secteur privé. Ce changement transfère le risque aux employés, rendant l’épargne-retraite imprévisible. Il n’y aurait plus de pension garantie basée sur vos dernières années de travail : votre épargne pourrait s’épuiser avant vous. Ils veulent porter l’âge de la retraite à 67 ans au Canada, alors que M. Poilièvre avait droit à une pension de 120 000 dollars à l’âge de 31 ans.
Il a déjà fait part de son intention de surveiller et de contrôler les fonctionnaires, en s’interrogeant sur l’importance de leur travail. Les députés conservateurs affirment qu’ils ont beaucoup moins de liberté pour s’exprimer publiquement depuis que M. Poilièvre est devenu chef du parti. Il fait surveiller l’entrée du Parlement par des attachés de presse qui surveillent les députés lorsqu’ils croisent des journalistes.
Les politiques conservatrices actuelles sont très axées sur les idéologies, notamment en matière de genre et de race. Si le parti conservateur est élu, il pourrait tenter de museler les chercheur·ses et les scientifiques dont les travaux touchent à des enjeux politiques afin de s’assurer que les fonctionnaires « s’en tiennent au message » plutôt que d’être objectifs et scientifiques, tout comme les conservateurs de M. Harper l’ont fait avec la science de l’environnement lorsque M. Poilièvre était un ministre du cabinet. Il vaut la peine de mentionner que Pierre Poilièvre a voté 400 fois contre la protection de l’environnement.
La rhétorique, le bilan et les politiques de M. Poilievre font écho à ce que nous avons vu aux États-Unis, où les « mesures d’efficacité » ont entraîné des pertes d’emplois dévastatrices, un affaiblissement des institutions publiques et une plus grande dépendance à l’égard du secteur privé. Ce n’est pas pour rien que ses collègues conservateurs disent que M. Poilièvre est « très en phase avec… la nouvelle direction des États-Unis ».
Si nous ne réagissons pas maintenant, la fonction publique canadienne pourrait être confrontée à la même vague d’austérité, de démantèlement des syndicats, d’ingérence politique et d’insécurité d’emploi. La lutte pour la protection des services publics n’est pas seulement une question d’emplois, mais aussi de sauvegarde des programmes essentiels dont dépendent chaque jour des millions de Canadien·nes.
about safeguarding the essential programs that millions of Canadians depend on every day.