L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Guide de poche sur L'obligation de prendre des mesures d'adaptation

Table des matières



Introduction

Nous vivons dans une société très diverse et multiculturelle. Des gens de nationalités, de religions et d’horizons ethniques différents croisent notre chemin tous les jours, que ce soit dans nos activités sociales ou au travail. Nous pouvons aussi voir des gens qui ont des problèmes de santé physique et mentale un peu partout, y compris en milieu de travail. Toutefois, ces gens très différents n'ont pas tous les mêmes besoins, car les besoins et les attentes des gens varient en fonction de leur condition physique, de leur limitation fonctionnelle, de leur maladie ou du culte qu’ils pratiquent.

Comment mélangeons-nous ces différentes cultures et attentes pour créer un milieu de travail facile d’accès et offrir un environnement respectueux à tous les employés? Comment adaptons-nous le milieu de travail à toutes ces personnes différentes?

Qu’est-ce que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation?

Selon la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est un principe de droit qui oblige les employeurs à déterminer et à modifier toute règle, pratique, attente ou procédure qui a des conséquences discriminatoires au sens des motifs illicites établis par la CCDP, soit la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge et le sexe (y compris la grossesse), l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille et la limitation fonctionnelle.

De plus, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, tous les employeurs du secteur fédéral sont tenus par la loi d’offrir un environnement de travail facile d’accès et l’égalité des chances à tous les employés. Les employeurs du secteur fédéral doivent trouver et supprimer les obstacles pour assurer le plein accès à l'emploi dans la fonction publique.

Les mesures législatives canadiennes sur les droits de la personne reconnaissent que tous les employés devraient être traités équitablement et avec respect. Bien que le respect désigne évidemment la façon dont une personne interagit avec une autre en paroles et en action, il désigne également le fait de satisfaire aux besoins particuliers de certaines personnes, tels que l’observance de différentes fêtes et pratiques religieuses ou le déplacement en fauteuil roulant.

Tous les milieux de travail ont des règles qui s’appliquent à tout le monde, comme un code vestimentaire ou l’interdiction de consommer de l’alcool. Cependant, il arrive que ces règles ou ces politiques créent des obstacles pour certaines personnes.

Qu’est-ce qu’une limitation fonctionnelle?

Bien qu’il existe toutes sortes de limitations, le

Conseil du Trésor reconnaît les suivantes :

  • la cécité ou une autre déficience visuelle grave;
  • la surdité ou une autre déficience auditive grave;
  • la mobilité;
  • la douleur chronique;
  • la sensibilité à des facteurs environnementaux;
  • la toxicomanie;
  • la difficulté d’apprentissage;
  • les troubles de la parole;
  • les états chroniques tels que le diabète;
  • la déficience psychique;
  • la déficience développementale;
  • les autres conditions permanentes ou temporaires qui causent de la douleur ou limitent ou restreignent les activités

Évaluations de l’aptitude au travail

Dans la plupart des cas d’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour des raisons médicales, l’employé est sous le soin de son médecin de famille. Cependant, il arrive que l’employeur demande l’opinion médicale d’un second médecin. Dans les principaux ministères fédéraux, l'employeur peut demander à l'employé de voir un médecin de Santé Canada et de faire évaluer son aptitude au travail.

Qu’entend-on par « aptitude au travail »?

L’évaluation de l’« aptitude au travail » est une évaluation médicale effectuée à la demande de l’employeur qui veut s’assurer qu’un employé est en mesure de s’acquitter des fonctions et responsabilités liées à un emploi particulier. Il s’agit de déterminer si, d’un point de vue médical, l’employé peut effectuer un travail ou une tâche dans les conditions de travail existantes. On fait passer les évaluations de l’aptitude au travail le plus souvent après une maladie ou une blessure, mais aussi parfois comme condition préalable à la nomination à certains emplois, tels que pompier ou pilote d’avion, ou à une mutation. Ces évaluations peuvent également permettre de déterminer le type de mesure d’adaptation dont un employé a besoin à son retour au travail après une blessure ou une maladie. Par exemple, il peut être nécessaire de modifier l’horaire de travail de l’employé, d’adapter son équipement de travail, dont son ordinateur, ou de permettre à l’employé de faire du télétravail à temps partiel ou à temps plein.

Situations susceptibles de nécessiter une évaluation de l’aptitude au travail

Diverses situations peuvent pousser un ministère à demander une évaluation de l’aptitude au travail. Par exemple, les ministères peuvent la demander :

  • Lorsqu’un employé a été exposé à un danger pour la santé (par ex., un déversement de produits chimiques);
  • À l’occasion d’un changement d’emploi dans le cadre duquel l’employé sera exposé à différents dangers;
  • Lorsqu’un employé semble incapable de s’acquitter des fonctions liées à son poste en raison de problèmes de santé physique ou psychologique;
  • Lorsqu’un employé est absent pendant une longue période et qu’aucune date de retour au travail n’est encore fixée; ou,
  • Lorsqu’un employé revient au travail après une longue période de congé et que la capacité de l’employé à s’acquitter des fonctions liées à son poste préoccupe l’employeur.

Pourquoi a-t-on recours aux évaluations de l’aptitude au travail?

Ces évaluations peuvent être utiles pour déterminer :

  • Si des employés sont capables de continuer à travailler sans risque pour leur santé ou celle des autres;
  • Si un candidat répond aux exigences en matière de santé pour un poste particulier avant d’être nommé à ce poste;
  • Les conditions dans lesquelles les employés malades, blessés ou ayant une limitation fonctionnelle sont en mesure de continuer à travailler.

L’employeur n’a pas le droit d’obtenir un diagnostic. Cette information est confidentielle et ne devrait pas être divulguée à l’employeur. L’employeur a seulement le droit d’obtenir un pronostic quant à l’aptitude au travail de l’employé. Dans la négative, quelles sont les restrictions? Comment peut-on adapter le travail de l’employé à son état de santé?

Les évaluations de l’aptitude au travail effectuées par Santé Canada ne visent pas à remplacer l’examen ou le traitement médical par un médecin personnel ou de famille. Il est à noter qu’à la demande écrite de l’employé, toute information obtenue grâce à l’évaluation de l’aptitude au travail sera envoyée au médecin de l’employé par Santé Canada.

Il est important de signaler que si un plan de retour au travail a été préparé et approuvé par le médecin de l’employé et le personnel de réadaptation de la compagnie d’assurances, une évaluation de l’aptitude au travail n’est pas obligatoire pour les ministères. Généralement, dans les cas où des mesures d’adaptation sont nécessaires, une évaluation de l’aptitude au travail ne devrait être demandée que si le médecin de l’employé n’a pas fourni suffisamment de détails pour permettre à la direction d’établir quelles mesures d’adaptation sont nécessaires. On suggère donc aux employés d’inviter leur médecin personnel à être aussi précis que possible dans sa recommandation de mesures d’adaptation particulières.

Processus d’évaluation de l’aptitude au travail dans les cas de maladie

Dans un premier temps, un employé devrait remettre à l’employeur un certificat médical écrit obtenu de son médecin personnel dans lequel sont précisées les mesures d’adaptation nécessaires.

Si ce n’est pas suffisant pour l’employeur, les gestionnaires doivent, conformément aux politiques ministérielles, informer l’employé de la nécessité de procéder à une évaluation de l’aptitude au travail et lui en fournir la justification. L’employé doit donner son consentement. Si l’employé refuse de se soumettre à une évaluation de l’aptitude au travail, un conseiller des relations de travail du ministère est alors consulté. Dans un tel cas, l’employé devrait communiquer avec son représentant syndical. Le représentant syndical réussit souvent à persuader l’employeur de laisser tomber la demande d’évaluation de l’aptitude au travail à condition que l’employé retourne chez son médecin et demande un rapport plus détaillé et contenant aussi des directives précises sur les mesures d’adaptation qu’il faut prendre.

Si l’employé accepte de se soumettre à l’évaluation de l’aptitude au travail, l’employeur envoie alors une lettre explicative contenant des données factuelles, objectives et pertinentes sur le renvoi au médecin de Santé Canada.

Si l’employeur demande une évaluation de l’aptitude au travail, l’employé peut décider de voir son médecin personnel. Dans ce cas, le ministère fournira le formulaire médical pertinent de Santé Canada, une description du travail faisant état des risques qui lui sont associés, de l’importance de l’exposition et de l’utilisation d’un équipement de protection. Le médecin remplit les formulaires pertinents, procède aux examens requis et transmet les résultats à Santé Canada. L’employé devrait alors consentir, par écrit, à ce que Santé Canada contacte son médecin si des renseignements supplémentaires étaient nécessaires.

Toute l’information que le médecin de l’employé envoie à Santé Canada devrait également être envoyée à l’employé afin d’assurer la transparence du processus et de prévenir la divulgation non autorisée de renseignements personnels. Il est important de noter que les références médicales à l’état de santé d’un employé ne doivent porter que sur les mesures d’adaptation requises. Santé Canada ou le médecin personnel de l’employé ne doivent pas inclure de détails sur la maladie de l’employé.

Qui procède aux évaluations de santé?

Les évaluations de santé sont effectuées par des professionnels de la santé au travail comme des médecins, des infirmières ou des spécialistes de la santé mentale au service de Santé Canada. Ces professionnels doivent bien connaître les risques pour la santé dans les lieux de travail de l’employeur ainsi que les mesures législatives en matière de SST et de droits de la personne et les politiques gouvernementales.

Résultats de l’évaluation

Une fois l’évaluation terminée, un rapport écrit contenant les résultats est envoyé à l’employeur et à l’employé. Comme on l’a déjà précisé, le rapport ne constitue pas un diagnostic. Le rapport doit donner un aperçu de l'évaluation de la capacité de l’employé de s’acquitter des fonctions et des responsabilités associées à son poste de même que de ses limitations ou restrictions physiques.

Si l’employé est incapable d’exercer les fonctions liées à son poste dans les conditions de travail actuelles, le ministère doit faire tout en son possible, dans les limites du raisonnable et jusqu’à la contrainte excessive, pour répondre aux besoins de l’employé. L’employé qui croit que les gestionnaires ne sont pas disposés à prendre les mesures d’adaptation proposées par son médecin personnel ou Santé Canada devrait consulter son représentant syndical. S’il le faut, le représentant syndical peut l’aider à déposer un grief ou une plainte pour violation des droits de la personne.

Si un problème de santé est découvert dans le cadre d’une évaluation effectuée par un médecin de Santé Canada, l’employé sera dirigé vers son propre médecin, et une copie du dossier médical sera transmise au médecin sur demande écrite de l’employé.
 
S’il n’est pas d’accord avec l’évaluation de Santé Canada, le médecin de l’employé doit envoyer au médecin de Santé Canada qui a procédé à l’évaluation, ainsi qu’à l’employeur, une lettre faisant clairement état de ses objections et de ses raisons.

Que devrait faire l’employé?

  • Parlez de votre maladie ou de votre limitation fonctionnelle à un professionnel de la santé (médecin de famille, spécialiste, chiropraticien, physiothérapeute, etc.). Voyez si un de ces professionnels appuie par écrit votre demande de mesure d'adaptation en expliquant ce dont vous avez besoin pour pouvoir travailler.
  • Faites intervenir un représentant syndical le plus tôt possible. Expliquez la situation et ce que le professionnel des soins de santé estime qu’iI faille faire. L’employeur pourrait banaliser la maladie de l’employé, auquel cas le représentant syndical peut être un allié de poids pour vaincre l’opposition.
  • Demandez à rencontrer l’employeur pour discuter des mesures d’adaptation dont vous avez besoin. Le membre devrait être prêt à expliquer la situation et les mesures d’adaptation dont il a besoin. Rappelez-vous que l’employé n’est pas tenu de révéler la nature de sa maladie, bien qu’il puisse être utile de donner des renseignements généraux.

Que doit faire l’employeur?

L’obligation de prendre des mesures d’adaptation oblige les employeurs à relever et à supprimer les règles qui sont préjudiciables à certaines personnes afin d'inclure des mesures de rechange qui éliminent les obstacles discriminatoires. Cela peut comprendre la mise en œuvre de dispositions d’assouplissement de l’organisation du travail, qui permettent à certains employés de faire face à des situations de famille ou de prier à des moments précis. Cela peut également signifier adapter le milieu de travail en concevant l’ensemble des systèmes (p. ex. le matériel informatique), des processus (p. ex. les processus de sélection) et les installations (p. ex. l'accès à l'immeuble) qui aident les employés ayant une limitation fonctionnelle, dont les aveugles et les personnes en fauteuil roulant.

Cependant, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne se limite pas pour l’employeur à déterminer si un poste pourrait convenir à un employé handicapé. La loi exige d'un employeur qu'il détermine si des postes existants peuvent être adaptés ou modifiés pour un employé qui demande une mesure d’adaptation ou s'il existe d'autres postes dans l'organisation qui pourraient être adaptés à cet employé.
 
Bien qu’il puisse être plus facile pour un employeur d’appliquer la mesure d’adaptation la plus simple possible, l’employeur et le syndicat sont obligés d’étudier des options viables pour répondre aux besoins d’adaptation d’un employé handicapé en envisageant des options qui ne compromettent pas indûment les droits des autres.

Un employeur n’est pas tenu d’offrir la mesure d’adaptation parfaite si d’autres possibilités de mesures d’adaptation raisonnables existent. Les employés n’ont pas le droit absolu de dicter les conditions de l’adaptation et ne peuvent obliger un employeur à modifier les exigences lorsqu’il n’y a pas de motif impérieux de le faire.

Les mesures d’adaptation suivantes sont les diverses options qu'un employeur peut envisager pour tenter de répondre aux besoins d'adaptation d'un employé.

Regroupement des fonctions

Avec l'assentiment du syndicat, l'employeur peut modifier les fonctions associées à un certain nombre de postes pour donner à l’employé un certain nombre de fonctions qu’il est en mesure d'exercer pour répondre à ses besoins d'adaptation. Dans ce cas, la mesure d’adaptation doit permettre à l’employé de retourner au travail tout en fournissant un travail productif pour l’employeur.

Dérogation à des dispositions d’une convention collective

La Cour suprême du Canada a décrété que les dispositions de conventions collectives doivent être respectées, mais qu’à l’occasion il est possible d’y déroger si elles empêchent d’une manière déraisonnable la prise d’une mesure d’adaptation viable. Ainsi, le syndicat peut accepter de déroger à certaines parties de la convention collective en prenant soin de ne pas porter atteinte au droit des autres employés comme solution de rechange à une adaptation complexe. Cependant, selon un certain nombre de décisions judiciaires, cette option devrait ne constituer qu’un dernier recours.

Recyclage

L’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour l’employeur peut comprendre le fait d’offrir des cours de recyclage à un employé, à condition que les coûts d’une telle formation ne constituent pas une contrainte excessive.

Restructuration des emplois

Un employeur ne doit pas se limiter au poste actuellement occupé par l’employé lorsqu’il envisage des mesures d’adaptation. Dans ce cas, il faut respecter les deux exigences suivantes : 1) un employé doit être en mesure de s’acquitter des fonctions essentielles de tout poste qui lui est offert comme mesure d’adaptation et 2) l’employeur n’est pas tenu d’offrir ce poste à titre permanent si l’employé n'est pas productif.

Mutation

Il arrive souvent qu’une mutation soit envisagée comme mesure d’adaptation. Cette option varie d’un cas à l’autre, selon qu’on a démontré ou non qu'il s'agit d'une contrainte excessive. Étant donné qu'un employé occupant un poste permanent créé comme mesure d’adaptation doit être capable de s’acquitter des fonctions essentielles de ce poste, l’employé qui demande une mesure d’adaptation ne peut demander de prendre la place d’un employé d’un poste supérieur, mais il peut être nommé à un poste supérieur si l’on démontre que cette mesure d’adaptation porte le moins atteinte aux droits des autres employés.

Rétrogradation

Les employeurs peuvent nommer un employé qui demande une mesure d’adaptation à un poste inférieur si, après une recherche exhaustive, on ne trouve aucune autre mesure d’adaptation raisonnable. Cependant, dans ce cas, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne s’étend généralement pas jusqu'au maintien du taux de rémunération plus élevé.

Normes du travail

Selon la Cour suprême du Canada, des normes liées au milieu de travail, telles que le levage d’objets lourds ou des horaires de travail particuliers, peuvent établir involontairement une distinction injuste à l’endroit de certains employés, selon des motifs liés aux droits garantis de la personne, comme le sexe ou la limitation fonctionnelle. On peut généralement prendre des mesures d’adaptation dans de telles situations après discussions entre un employeur et un employé ou son représentant syndical.

Ergonomie

Souvent, pour satisfaire aux besoins de l’employé, il suffit de modifier son poste de travail ou d’adapter le clavier et la souris, les sorties vocales, l’aération et la disposition des meubles et d’installer de l’équipement ergonomique.

Ententes « de la dernière chance »

Des ententes de la dernière chance surviennent entre un employeur, un employé et son syndicat. L’entente doit comprendre la reconnaissance par l’employé de la nature de son problème (tel que l’alcoolisme) et on y parvient généralement après avoir épuisé toutes les autres options. Il faudrait noter que des arbitres en sont venus à la conclusion que les ententes de la dernière chance sont discriminatoires, car elles obligent un employé ayant une limitation fonctionnelle à respecter une norme plus élevée que celle imposée aux autres employés. Certains arbitres ont conclu qu’ils ne sont pas liés par les ententes de la dernière chance qui prévoient la cessation d’emploi d’un employé toxicomane avant que l’employeur puisse soutenir que tous les efforts nécessaires d’adaptation ont été épuisés. Une entente de la dernière chance est une preuve que l'employeur a respecté son obligation de prendre des mesures d’adaptation alors qu’en fait elle peut être interprétée comme une preuve incontestable que la limite constituant une contrainte excessive a été atteinte.

Création d’un nouveau poste

Ce n’est pas une option, car la jurisprudence a montré qu’un employeur n’est pas tenu de créer un emploi pour répondre aux besoins d’un employé.

Autres motifs d’adaptation

Lorsqu’ils élaborent les normes à utiliser pour l’embauche ou la promotion, les employeurs sont libres de déterminer les qualités pertinentes exigées pour un poste. Cependant, les normes ne peuvent directement être source de discrimination contre des personnes ni avoir des répercussions négatives sur les candidats pour un motif illicite énoncé dans les mesures législatives sur les droits de la personne.

Par exemple, des employeurs pourraient exiger une certaine tenue vestimentaire (soit un uniforme ou un dispositif de protection) susceptible d'aller directement à l’encontre des exigences vestimentaires prescrites par la religion. Un autre exemple pourrait concerner l’obligation de prier à différents moments de la journée d'employés de diverses confessions, ce qui pourrait être incompatible avec les heures de travail prévues par l’employeur.

La religion est un motif protégé aux termes des mesures législatives canadiennes sur les droits de la personne et, à ce titre, requiert l’adoption de mesures d’adaptation tant qu'elles ne causent pas de contrainte excessive. Dans de tels cas, l’employeur doit étudier et accepter les demandes de congé religieux, y compris les congés religieux payés, à condition qu'on puisse démontrer que cela ne constitue pas une contrainte excessive.

On a aussi l'exemple de mesures d’adaptation demandées pour une femme enceinte incapable de s'acquitter de toutes les fonctions associées à son emploi. Pour ce faire, on attribue généralement des tâches différentes à l'employée durant sa grossesse. Cependant, divers tribunaux ont statué que les employeurs doivent également donner aux employées en congé de maternité les mêmes possibilités que si elles avaient été présentes au travail, dont les possibilités de promotion.

Une mesure d’adaptation peut-elle être refusée?

Par le passé, la plainte d’un employé concernant le refus de se voir accorder une mesure d’adaptation était généralement associée à de la discrimination. Les tribunaux traitaient les cas de discrimination en déterminant si celle-ci était « directe » ou « indirecte ».

Une discrimination directe se produit lorsqu’un employeur se retranche derrière des facteurs très précis, en disant par exemple que seuls les hommes pourraient accomplir certains travaux, en excluant ainsi les femmes. Une discrimination indirecte se produit lorsque des facteurs moins évidents sont requis pour occuper un certain emploi, tels qu’un permis de conduire valide.

Bien que ces deux types de discrimination aient une incidence négative sur certaines personnes, les tribunaux ne reçoivent que la défense basée sur l'exigence professionnelle justifiée (EPJ) dans les cas de discrimination directe.

La distinction entre les discriminations directe et indirecte a été réduite à la suite de modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi stipule maintenant que pour toute pratique considérée comme découlant d’une exigence professionnelle justifiée ou un motif justifiable (MJ), il faut établir que la mesure d'adaptation imposerait une contrainte excessive à la personne qui devrait prendre cette mesure, en tenant compte de la santé, de la sécurité et des coûts.

En 1999, les affaires Meiorin et Grismer ont permis de supprimer toute distinction entre les discriminations directe et indirecte quand la Cour suprême a donné un critère unifié à appliquer uniformément dans toutes les défenses invoquant une EPJ ou un MJ. Ce changement garantit que les employeurs doivent prendre des mesures d’adaptation jusqu’à l’atteinte de contraintes excessives.

Ce critère est fondé sur la détermination qu’une contrainte excessive serait imposée si une mesure d’adaptation était prise, en tenant compte de la santé, de la sécurité et des coûts. Pour répondre à ces exigences, l’employeur doit :

  1. démontrer que la norme a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution des fonctions;
  2. croire sincèrement que la norme est nécessaire pour atteindre le but légitime lié à l’exécution des fonctions;
  3. montrer que la norme est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but légitime lié à l’exécution des fonctions et qu’il est impossible de répondre aux besoins des employés sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

Pour répondre aux trois exigences ci-dessus, on pose les questions suivantes :

  • Des solutions de rechange ont-elles été envisagées?
  • Dans l’affirmative et si elles répondaient aux besoins de l’employeur, pourquoi ces solutions n’ont-elles pas été adoptées?
  • Les employés doivent-ils tous répondre à une seule norme ou est-ce que des normes différentes pourraient être adoptées?
  • La norme traite-t-elle certains employés plus durement que d’autres?
  • Dans l’affirmative, la norme a-t-elle été conçue pour réduire au maximum cette différence de traitement?
  • Quelles étapes a-t-on suivies pour trouver des mesures d’adaptation?
  • Peut-on prouver qu’il y aurait contrainte excessive si des mesures d’adaptation étaient prises?
  • Les parties qui doivent prendre des mesures d’adaptation ont-elles toutes joué leurs rôles?

Qu’est-ce qu’une contrainte excessive?

Dans plusieurs sections du document, nous avons parlé de « contrainte excessive ». Prenons un moment pour définir ce terme.

Une contrainte excessive désigne la limite à laquelle un employeur peut prendre des mesures pour répondre aux besoins d’un employé sans se buter à une difficulté déraisonnable. Autrement dit, on s’attend à ce qu’un employeur prenne des mesures d'adaptation jusqu'au point où prendre ces mesures entraînerait des difficultés déraisonnables sur le plan de la santé, de la sécurité et des finances.

Si répondre aux besoins d’une personne en fonction de son âge ou de sa limitation fonctionnelle posait un risque excessif pour cette personne ou pour d’autres, l’employeur pourrait être en mesure d’établir qu’il y a contrainte excessive. Par exemple, une administration municipale pourrait exiger que les pompiers soient au mieux de leur forme physique pour traîner de l’équipement lourd ou des victimes. Cela empêcherait des personnes ayant une déficience physique d’exercer ces fonctions, car leur permettre d’occuper ces postes pourrait compromettre la sécurité du public.
 
Si le coût des mesures d’adaptation prises pour un employé est tellement élevé que la survie de l’entreprise est menacée, l’employeur peut alléguer une contrainte excessive. Cependant, le simple fait de coûter cher ne permet pas à un employeur d’invoquer une contrainte excessive. Des facteurs tels que la taille de l’entreprise, ses ressources financières et la possibilité d'obtenir une aide financière extérieure doivent également être pris en considération. De grands employeurs comme le Conseil du Trésor ou l’Agence du revenu du Canada auraient du mal à invoquer des difficultés financières pour se soustraire à leur obligation de prendre des mesures d’adaptation.

Dans certaines situations, un employeur peut refuser de prendre des mesures d’adaptation s’il fait quelque chose de bonne foi dans un but lié à un emploi ou à un service offert et si modifier cette pratique pour répondre aux besoins de quelqu’un imposait une contrainte excessive à l'employeur ou au fournisseur de services, du point de vue de la santé, de la sécurité et des coûts. C’est ce qu’on appelle une exigence professionnelle justifiée (EPJ) ou un motif justifiable (MJ).

Mécanisme de redressement

L’employé qui a des besoins à satisfaire et qui estime que l'employeur ne prend pas ses responsabilités dispose des deux recours suivants :

  • Déposer une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP);
  • Déposer un grief conformément à sa convention collective.

Selon le paragraphe 40(1) de la LCDP, une personne qui a des motifs de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission, en la forme acceptable pour cette dernière, dans un délai d’un an suivant la date à laquelle l’acte a donné lieu à la plainte.

La Commission examinera la plainte et pourra décider de renvoyer le plaignant à la procédure de règlement des griefs contenue dans sa convention collective afin qu'il épuise les mécanismes de grief et de redressement qu'elle offre.

Comme toutes les conventions collectives contiennent des dispositions antidiscriminatoires, il faut déposer un grief. On propose l’énoncé suivant : 

« J’ai une limitation fonctionnelle qui nécessite une mesure d’adaptation. L’employeur n’a pas pris de mesure d’adaptation jusqu’à l’atteinte d’une contrainte excessive pour répondre à mes besoins, en contravention de l’article XX et d’autres articles connexes de la convention collective YY ainsi que de l’article 7 et d’autres articles de la LCDP. Je dépose donc un grief ».

Dans le formulaire de présentation d’un grief, le plaignant doit également décrire la mesure corrective demandée. Voici une suggestion d’énoncé :

« Qu'on réponde à mes besoins en matière d’adaptation.

Qu’on me rémunère au taux salarial de mon poste d'attache en attendant qu'une mesure d'adaptation satisfaisante soit prise.

Que je reçoive ma rémunération et mes avantages sociaux perdus par l’absence de mesure d’adaptation.

Qu’on me verse 20 000 $ pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 52(2)e) de la LCDP.

Qu’on me verse 20 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP pour acte délibéré et inconsidéré commis par l’employeur (si la cause est défendable).

Que j’obtienne réparation sur tous les plans ».

Il faudrait noter qu’un arbitre peut réintégrer un employé à son poste actuel, mais ne peut ordonner qu'on nomme une personne à un nouvel emploi, car il s’agit d’une mesure de dotation prise en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ou qui relève d'un programme de dotation d’agence de placement temporaire. Un arbitre peut également ordonner qu’un employé continue d’être payé jusqu’à ce qu'une mesure d'adaptation convenable soit prise.

De plus, comme le grief implique une infraction à la convention collective, il peut être soumis à l’arbitrage. Dans de tels cas, il faut signifier à la CCDP qu’un grief a été renvoyé à l’arbitrage. La CCDP se réserve le droit de revoir l’issue de l’arbitrage pour s’assurer de l’équité du processus. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) permet maintenant à un arbitre d’interpréter et d’appliquer la LCDP.

En outre, la LRTFP permet à un arbitre d’accorder une réparation en vertu de deux articles de la LCDP. Elle peut permettre d’obtenir jusqu’à 20 000 $ d’indemnisation pour préjudice moral et jusqu’à 20 000 $ supplémentaires si l’on peut prouver que l’employeur s’est livré de façon délibérée et inconsidérée à une pratique discriminatoire. Cependant, c’est très difficile à prouver.

Quel est le coût des mesures d’adaptation?

Selon le Conseil du Trésor, environ 20 pour cent de toutes les mesures d’adaptation sont gratuites. Bien que le CT estime que le coût moyen d’une mesure d’adaptation est de 1 850 $, la Commission canadienne des droits de la personne précise que « … dans la plupart des cas, il en coûte tout au plus 500 $ à l’employeur pour prendre des mesures d’adaptation. Ce coût est d’autant plus raisonnable qu’il est amorti sur toute la durée de l’emploi de la personne dans votre organisation ».

Quels sont les avantages de l'adaptation?

Par l’adaptation, on s'assure que les milieux de travail sont inclusifs, sans obstacles et justes pour tous les employés. Cet objectif atteint, les mesures d’adaptation prises permettent généralement de réduire les frais de fonctionnement, car les employés prennent moins de congés de maladie, et d’économiser temps et argent, car les employés recourent moins aux modes officiels de règlement des différends, tels que les griefs. On estime également que de bonnes mesures d’adaptation ajoutent cinq ans à la vie professionnelle d’un employé, ce qui réduit les coûts liés au remplacement des employés. De plus, tout cela produit un milieu de travail où l'on résout les problèmes de façon créative et où les employés et les clients sont mieux compris et mieux servis.

Le rôle du syndicat

La Loi sur l’équité en matière d’emploi stipule que la consultation et la collaboration entre les employeurs et les syndicats sont obligatoires.

Dans l’ensemble, le syndicat doit :

  • Revoir les politiques, les procédures, les pratiques et les activités pour trouver les obstacles discriminatoires et les supprimer;
  • S’assurer que la convention collective n’est pas discriminatoire pendant le processus de négociation collective et pour la durée de l’application de la convention collective;
  • Informer l’employeur et les employés sur le droit de ces derniers de faire l’objet de mesures d’adaptation et favoriser un environnement dans lequel il faut communiquer ses besoins en matière d’adaptation;
  • Faire connaître aux gestionnaires et aux superviseurs leurs besoins en matière d’adaptation;
  • Obtenir toute l’information nécessaire pour évaluer les besoins en matière d’adaptation, tels qu’une évaluation médicale servant à déterminer les capacités ou les restrictions relatives au travail;
  • Avec l’accord de la personne qui les demande, appliquer les mesures d’adaptation les moins perturbantes pour les activités de l’organisation tout en répondant aux besoins de l’employé qui a demandé des mesures d’adaptation.

Rôle du délégué syndical

Le délégué syndical peut :

  • Assurer la liaison entre l’employeur et l’employé;
  • Jouer un rôle d’éducateur auprès d’autres employés qui pourraient penser que l’employé servi par les mesures d'adaptation est un flanc mou ou se fait donner un emploi « douillet ». Le délégué syndical devrait toujours s’efforcer d’expliquer le processus qui découle de l’obligation de prendre des mesures d'adaptation aux collègues;
  • Comme le délégué syndical se trouve déjà dans le milieu de travail, il peut jouer un rôle important en aidant l’agent des relations de travail (ART) à trouver des mesures d’adaptation appropriées, à regrouper des fonctions, etc.;
  • Donner des conseils au membre qui a besoin d’une mesure d’adaptation;
  • Travailler avec l’employeur pour traiter les obstacles qu'on trouve dans la convention collective et veiller à ce qu’aucun nouvel obstacle ne soit ajouté;
  • Assurer un suivi après l’application de la mesure d’adaptation pour établir si elle répond aux besoins et aider à régler tout problème qui pourrait surgir.

Rôles et responsabilités de l’employeur

  • S’assurer que l'employé connaît son droit de faire l'objet de mesures d'adaptation, expliquer en détail la politique sur les mesures d'adaptation en milieu de travail et distribuer des copies de cette politique.
  • Dès la réception de la demande, discuter avec l’employé des mesures d'adaptation qu'il est possible de prendre.
  • Prendre des notes et tenir des dossiers pour toutes les discussions sur des mesures d’adaptation.
  • Jouer un rôle actif en envisageant des solutions de rechange et de nouvelles approches pour répondre aux besoins de l’employé.
  • Au besoin, obtenir l’opinion et les conseils de spécialistes désignés en ressources humaines ou en santé.
  • Respecter la confidentialité des renseignements et des dossiers médicaux.
  • Accéder aux demandes de mesure d’adaptation dans des délais raisonnables jusqu’à l’atteinte de contraintes excessives.
  • Rester disposé à revoir et à modifier l’entente d’adaptation si les circonstances changent ou si la solution cesse d’être satisfaisante.
  • Donner des détails pour justifier une décision défavorable à une adaptation.
  • Informer les employés sur leur droit d’en appeler d’une décision et de s’adresser à la CCDP.

Rôles et responsabilités de l’employé

  • Demander une mesure d’adaptation au besoin et suggérer des mesures adéquates, dans la mesure du possible.
  • Donner des renseignements et des documents qui proviennent d’un professionnel des soins de santé qualifié pour clarifier les restrictions de nature médicale et décrire le type de mesure d’adaptation qui conviendrait le mieux.
  • Collaborer avec tout spécialiste auquel on demande des conseils à propos de la situation.
  • Répondre aux demandes raisonnables de l’employeur de passer un examen médical indépendant. Remarque : Les employés ne peuvent être forcés à passer un examen médical indépendant, mais le refus de se plier à une demande peut ralentir le processus d’adaptation.
  • Donner suffisamment de temps à l'employeur pour répondre à la demande d'adaptation.
  • Prendre part à toute discussion liée à des solutions possibles en matière d’adaptation.
  • Écouter les propositions raisonnables de l’employeur en matière d’adaptation et y réfléchir.
  • Atteindre la norme de rendement convenue après l’application de la mesure d’adaptation.
  • Travailler avec le dispensateur de la mesure d’adaptation régulièrement afin de gérer le processus d’adaptation.
  • Le faire savoir à l’employeur lorsque les besoins en matière d’adaptation changent.

Bibliographie

  1. Conseil du Trésor. Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale
  2. Commission canadienne des droits de la personne. Prévenir la discrimination
  3. Robert Hatfeld, directeur de l’enseignement, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP). Duty to Accommodate
  4. Commission canadienne des droits de la personne. Exigences professionnelles justifiées et motifs justifiables dans la Loi canadienne sur les droits de la personne : Incidences des arrêts Meiorin et Grismer
  5. Commission canadienne des droits de la personne. Feuillet d’information : Obligation de prendre des mesures d’adaptation
  6. Documents inclus dans la séance de formation sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation
  7. Commission canadienne des droits de la personne. Guide de la gestion du retour au travail

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